Un premier marathon pour la beauté du geste


Choisir Jérusalem pour premier marathon, c'est gonflé. Surtout de la part d'une escargote. Le parcours est une succession de montées et de descentes et les bouts plats sont aussi rares que du jambon dans une boucherie casher ou hallal. Le tout pour un dénivelé d'environ 700 m, dit-on (à la fin du parcours, ma montre en indiquera plutôt 578) Vous avez dit casse-pattes? Heureusement qu'une escargote, ça n'a pas de pattes :-). 

Ça ne doit pas non plus avoir de cerveau. C'est dans un de ces moments où la raison était allée faire une course ailleurs que je me suis inscrite: "Tiens, y a un marathon à Jérusalem! Et si j'y allais? Ça doit être beau!" De peur de réfléchir et de renoncer... je me suis inscrite sur-le-champ. Mon premier marathon!

J- des poussières

Quelques jours avant la course, je repère les principales difficultés,  mais aussi les points de vue panoramiques :-). Quant aux ravitos (solides), ils sont quasi inexistants et Monsieur Escargot a la gentillesse de faire l'intendance.

Ma "stratégie" de course? Ne pas partir dans le rouge dans les montées et ne pas accélérer comme une débile dans les descentes. Le 1er semi m'apparaît vraiment casse-gueule. Si j'arrive à ne pas me griller sur les 21,1 premiers kilomètres,  c'est le début de la sagesse. Sur le plat je pars sur une base de 6:30 minutes par km... sauf qu'il n'y a pas de plat! 

J'ai l'impression d'être face à un défi bien plus grand que moi. Je me sens toute petite comme devant une montagne. Mais je me réjouis,  intensément, de cette course. Je sais que je suis une privilégiée de pouvoir m'aligner au départ d'un marathon et de courir dans les rues d'une ville mythique... Je n'en reviens pas d'être sur le point de vivre cela.

Jour J

Les rues sont bouclées dès 06h00. Selon mon hôtel, je n'aurai aucun problème à trouver un taxi devant le palace d'en face (de transports publics, point) mais jusqu'à 05h30 au plus tard. Sauf qu'il est 05h10 et: rien, néant, nada. Je commence à marcher dans la nuit, les taxis me dépassent sans même ralentir. Finalement j'utilise la méthode GI-Joe: je me jette devant un taxi qui est bien obligé de freiner. Bon, d'accord, il me prend mais il a une course à faire. Dingue, son autre course va aussi au départ du marathon!

Au départ, il fait très très frais. Je repère un olivier et me couche dessous. Glagla, il vente. Je me roule en boule. Soudain, un truc gluant. Tiens, de la résine? Sous un olivier, c'est bizarre... Plus tard je réaliserai que c'est le gel de secours que j'avais coincé dans la poche dorsale de mon short qui a explosé. ça commence bien! De toutes façons, il est l'heure d'aller faire la file pour les toilettes. J'enlève le gros du gluant :-)

J'attache la puce et vérifie qu'elle est bien calée sous les lacets. les instructions sont formelles: ne pas nouer les lacets par-dessus. Je me mets tranquillement dans le sas. Le jour s'est levé, les nuages alternent avec le ciel bleu, ça promet d'être bien.


Top départ

Il est 07h01, top départ. J’enclenche ma Garmin avant même de passer sous l'arche du départ, histoire d'être bien sûre d'avoir mis le chrono. Ambiance festive mais sage: le millier de coureurs et de coureuses présents économise ses forces, sauf une équipe de joyeux drilles. Les forces de l'ordre sont présentes en masse.

Bon, ce qui est pesant, c'est le côté politique donné à cette course.  Le départ est donné juste à côté du Parlement israélien ("tu l'as vu mon gros symbole?")... Si vraiment ce marathon est destiné à devenir une grande course internationale, ne serait-ce pas l'occasion d'en faire un symbole de paix plutôt que de revendication nationaliste? Comment dites-vous? Ah excusez-moi, je rêvais. 

Je crois rêver encore lors de mes premières foulées. Comme elle semble large la rue qui descend face à moi pour remonter ensuite. Elles sont là, spectatrices sévères, les maisons massives, toutes bâties dans la pierre de Jérusalem - qui prend des teintes blanches, beiges, grisées, dorées ou même roses selon la lumière. Wow! Je suis à Jérusalem et je cours. Je n'en reviens pas.
Parcours arborisé, tour d'un des campus de l'Université hébraïque. Peu de personnes dans les rues, quelques encouragements, la ville n'est pas encore réveillée. Pourtant, à l'arrière du peloton où je trottine, quelques joyeux drilles se chargent de jouer les réveils-matins en hurlant "boker tov Yerouchalaym", "bonjour Jérusalem!" Quelques illuminés courent avec le t-shirt de leur église qui proclame qu'elle est la seule vraie... Certains soufflent déjà bizarrement au 3e kilomètre. Au 5e, le bip de ma puce retentit sur le tapis.
Jérusalem Ouest, la ville s'éveille peu à peu. Au 10e km, je cours depuis 1h08 à ma montre et, même si je suis visiblement plus lente que prévu, je m'en fous, je suis bien, je regarde et j'ai du plaisir, je ne me vois pas aller plus vite. Je vois Monsieur Escargot qui me fait un bisou et m'encourage, ça me donne des ailes!
Stand de ravitaillement au 10e kilomètre
La petite bête qui monte (et qui descend)
Hop, nous montons dans le centre ville, sur les rails du tram, direction le Mont Scopus et l'autre campus de l'Université. Selon le descriptif du parcours, ça va bien monter et descendre. Je croise deux Belges qui trouvent que c'est vachement montagneux, pour des filles du Plat pays.
La route que nous suivons est à la frontière de la partie arabe (Jérusalem Est). Malgré des appels au boycott, des spectateurs arabes (des gens partis faire leurs courses, pour la plupart) nous encouragent, applaudissent. Nous croisons les premiers marathoniens qui reviennent par la même route.... Eux sont au semi. Leur visage est tendu par l'effort, certains expriment de la souffrance. A côté d'eux je me délecte de mon statut de touriste qui savoure son premier marathon comme une sorte de grande randonnée. Je me sens bien.

Pupuce où es-tu?
Après un ravitaillement (nombreux en eau, mais en nourriture que dalle), je jette un coup d’œil à mes chaussures. Il manque quelque chose ou j'ai la berlue? Je re-regarde. Me frotte les yeux... Rien n'y fait, il me faut me rendre à l'évidence: la puce s'est décrochée! J'ai une demi-seconde de panique: quoi tout ce chemin pour rien? Euh... pour rien? Cela m'oblige de me poser La question: "Pourquoi es-tu là? Pour un classement sur un site internet?" Ben non, je suis là pour moi, pour courir mon premier marathon, pour aller jusqu'au bout. La réponse est une évidence. C'est un défi que je me suis lancée à moi-même. 
Puce ou pas puce, classement ou pas classement, j'irai jusqu'au bout. Et soudain c'est comme si mes pieds devenaient plus légers dans le soleil du matin qui a décidé de montrer que, même dans la fraîche Jérusalem printanière, il est capable de cogner.
Je monte avec entrain la côte assez plaisante à courir car c'est plutôt une sorte de long faux plat, mais beaucoup autour de moi ont décidé de marcher.

"It's fantastic!"

En haut la vue est... saisissante.Tous ceux qui ont un appareil photo s'arrêtent (pas moi, je n'arrive pas à courir avec ces engins). Je ralentis. En contrebas, le village d'Issawiyya et ses maisons blanches en terrasse, qui moutonnent sur les collines couleur sable. On est aux portes du désert. Au loin, il doit y avoir la Mer morte. Là-bas, à nos pieds la vieille ville de Jérusalem. Le ciel s'est à nouveau couvert mais soudain un rayon de soleil vient frapper le Dôme du Rocher, et c'est comme si la ville était couronnée. Je suis scotchée. Un type à côté de moi hurle dans son portable: "it's fantastic, it's fantastic!". On repart, direction redescendre. Des enfants nous tendent des bouteilles d'eau. Soudain trois gouttes tombent du ciel, juste pour qu'il soit dit qu'il a plu.
Je passe les tapis dans un silence total, alors que tout le monde autour de moi fait bip bip. Au 21,1e km, je suis toute fière d'avoir franchi le semi marathon, après 2h19 de course. Je me sens bien mais j'ai faim. D'ailleurs j'ai commencé à attaquer un pain d'épices que j'ai pris dans ma petite ceinture de ravitaillement, avec 4 fioles contenant de l'isotonique home made. Sur le bord de la route, un ravitaillement. On me tend une banane. Elle est juste mûre et je me dis que ce n'est pas une bonne idée... mais j'ai trop faim et j'en engloutis les 2/3, advienne que pourra.
Direction la Vieille ville pour un passage éclair, on entre par la monumentale Porte de Jaffa. Le public est nombreux et nous encourage dans toutes les langues. Il y a aussi des dossards des autres courses (semi et 10 km) et c'est un peu le bordel. Hop, on ressort et on redescend. Cela va toujours. Il y a des stands avec de la musique... Au 26e, dans la ville nouvelle, j'aperçois Monsieur Escargot et lui fais signe que ça va et que j'ai la pêche. Je lui lance: "J'ai perdu la puce"! Il devient blême. "Mais je m'en fous!", je lui crie.

Il y a soudain beaucoup de monde, surtout des semi-marathoniens au dossard orange. Je me sens bien seule dans cette vague orange. "Allez la marathonienne!" me crie une fille du Semi "Allez la semi marathonienne!", je lui crie en riant.
Y a du monde qui marche
Vers le 29e je rate un ravitaillement en eau car il y avait trop de monde et ça a peut-être été une erreur. Nous sommes dans le quartier de Baka, aux superbes demeures (d'anciens palais arabes) et longeons une voie ferrée désaffectée transformée en promenade. Tout le monde marche sauf moi. A tel point que je dois demander le passage et les marcheurs me lancent des regards étonnés.
La foule de spectateurs est bigarrée, il y a même des familles entières d'ultraorthodoxes. Dans leurs habits très stricts, de toutes jeunes filles sont déchaînées et applaudissent tout ce qu'elles peuvent. Des baba cool ont sorti guitare et bières, des touristes prennent des photos, des soldats surveillent le tout d'un oeil. Tout ce monde crie dans toutes les langues. Jérusalem? Babel, plutôt!

J'ai faim!
Vers le 30e je commence à me réjouir du 31e car Monsieur Escargot m'attend avec du ravitaillement. J'ai FAIM! (mais oui, de nouveau). Je l'aperçois et je tends les bras telle une naufragée pour attraper la bouteille d'isotonique et le pain d'épices aux amandes sur lequel je me jette littéralement. 
On se donne "Rendez-vous à l'arrivée!" WOW, l'arrivée... Elle paraît encore loin, ou plutôt, de plus en plus loin. Mes jambes ont durci et les descentes sont de plus en plus pénibles. A mon grand étonnement, je maintiens pourtant plus ou moins une allure de 06'30'' au km et je continue à dépasser des gens avec une belle régularité. Nous arrivons sur une promenade avec de nouveau une vue incroyable sur la ville. 
Ravitaillement en vue, mais il n'y a que des pommes entières. Heureusement que j'ai eu mon pain d'épices. Au bout de la promenade, on la reprend dans l'autre sens. J'entends soudain: "Allez la Suisse!!!", ce sont les deux Belges qui arrivent dans l'autre sens. "Allez la Belgique!", je réponds.
Le soleil tape. Je suis consciente de faire une assez sale tronche, dans le style grimaçant. Allez Escargote, accroche-toi! Les 6-7 derniers kilomètres sont éprouvants, je fatigue, j'ai les jambes toutes raides. Vers le 38e, une montée me casse les pattes. Quel délice de marcher quelques mètres. Un replat et ça repart, je cours. Oh non, PAS ENCORE une descente! Aïe, mal aux jambes!!! Je m'accroche. Je bois dans une des fioles à ma ceinture.

Allez, vas y Escargote, il reste 4 km. Je ne suis plus très attentive à ce que je vois autour de moi, je veux arriver, point barre. Des enfants courent n'importe comment au milieu du parcours... Non, faire un détour je n'y arriverai pas. Je passe dans le tas et les enfants s'éparpillent.

Petite, la montée?


Je ne vois plus les panneaux kilométriques, d'ailleurs je me demande pourquoi ils s'espacent de plus en plus. Soudain, j'aperçois le km 41. Un peu plus loin, Monsieur Escargot est là qui me crie: "Vas-y, y a plus que cette petite montée, tu passes un tunnel et tu verras l'arche d'arrivée dans le parc, c'est tout près!" Cette petite montée... hum... dans la réalité, c'est certainement une petite montée. Mais dans ma perception du moment, c'est l'Everest et je vais demander un sherpa et de oxygène. Je la gravis mi-trottant, mi-marchant, et je me remets à courir. "Ouf, principale difficulté passée", je me dis. Un peu avant moi une coureuse est passée, elle a des oreilles de lapin :-)



 Tunnel. Parc. L'arche, des gens devant moi. Je veux sprinter mais mes jambes consentent tout juste à accélérer leur rythme un minipoil. "Eh, tu pourrais déjà être contente qu'on te porte jusqu'ici et qu'on continue de courir", semblent-t-elles me dire, dans toute leur rigidité.


Tapis bleu, ligne d'arrivée. J'arrête ma montre. Sur le chrono de l'arrivée, c'est écrit 04:41:42. Au mien, 04:41:02. Et la distance s'affiche sur ma montre: 42,810 km. Je suis marathonienne!

Une bénévole m'intercepte pour m'enlever la puce. Elle me demande où elle est. "Je l'ai perdue". Elle me regarde l'air horrifié: "Mais vous ne serez pas classée!" Ah bon? Je n'ai pas l'énergie de lui dire que vu que je ne visais pas le podium, l'essentiel est ailleurs. Je cherche des yeux Monsieur Escargot. Il a sorti une bouteille de rouge et du salami. J'éclate de rire, je me couche dans l'herbe. Je suis contente.


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