Des hauts, des bas et une étape essentielle

Il n’y a que dans les romans et les mauvais livres de développement personnel que tout va mieux, jour après jour, traçant une droite régulière vers la guérison. Quand tu te remets d’une blessure ou d’une maladie et que tu n’as plus vingt ans mais le double, tu apprends à composer avec des jours de mieux et des jours de moins bien. Parfois, manque de bol, ça se compte en semaines de moins bien. Et là, ça devient vraiment très dur. Pour avoir lu trop de romans (ou de livres de développement personnel à deux balles), je pensais que, passé le premier mois dans le plâtre, la suite serait un long fleuve tranquille. J’étais certaine que je poserais quasiment aussitôt les cannes et que je pèterais la forme. Sauf que ça ne s’est pas tout à fait passé ainsi.

Il y a eu la très bonne surprise du vélo, que j'ai repris sans problème hormis l'impossibilité de cliper. Le reste, en revanche, était moins rose. J’avais mal. J’avais mal la nuit, mal en me réveillant, mal dans les transports publics, mal au boulot, mal en marchant, mal chez le physiothérapeute. Sur le vélo, je ne sentais quasiment pas de douleur. Et puis je descendais de vélo et elle était là, fidèle, qui m’attendait. Je n’avais pas d’équilibre et je n’arrivais pas à marcher sans cannes

Travailler, même à mi-temps, me fatiguait énormément. Je me suis mise à compenser la douleur, la frustration et la baisse de moral en mangeant trop et des cochonneries, ce qui chez moi, n’est jamais bon signe. Durant deux semaines, j’étais au creux de la vague, et le pire, c’est que je m’en rendais compte. J’avais tout de même une perspective agréable, voire deux: à la fin de la 7e semaine et au début de la 8e, j’avais un long week-end de congé. Et pendant ce long week-end, selon le protocole de rééducation, j’avais le droit de retourner dans l’eau, avec une orthèse. Je m'en faisais une fête.

A la fin de la 7e semaine, j’étais… crevée, hors service, finie, vannée, k.o. J’avais prévu d’aller faire du vélo l’après-midi, après le travail, mais ni la météo, ni moi, n’étions en état. Pour enfoncer le clou, j’avais fait une tentative de cliper mon pied droit sur le vélo (heureusement, à la maison et pas dans la rue). Lorsque j’ai essayé de décliper, j’ai eu l’impression qu'on m'arrachait le pied. J’en ai raisonnablement conclu que ce n’était pas encore le moment de rouler autrement qu’en baskets, malgré le feu vert donné par le médecin. Dans ces circonstances, j’ai donc changé mes plans et décidé d’avancer d’une après-midi mon grand retour dans l’eau. 

 Première piscine


A la piscine, les conditions étaient idéales car il y avait très peu de monde. Passons sur le fait que trois bus sont tombés en panne pour rejoindre l'eldorado aquatique, j'avais tout mon temps. J’ai choisi une piscine accueillante pour les handicapés (il y a même un ascenseur) et j’ai investi le bassin non nageur. Le résultat a été... une immense déception: au moindre mouvement, j’avais mal, terriblement mal. J’ai tout de même profité de marcher un peu dans l'eau, un peu dans l’herbe, les pieds nus (si ce n’est un bout de plâtre). Cette sensation m’a fait énormément de bien et consolée, un petit peu, du fiasco de la baignade.

Le matin, je n’avais pris qu’une seule béquille pour aller au travail. A la piscine, j’ai essayé de faire quelques pas sans elle. Je fais, ici, une aparté: consciente de ma baisse d’énergie psychologique et physique, j’avais fait le pari que lâcher les cannes m’aiderait à aller mieux. Ce mieux-aller devenait urgent, après ce premier rendez-vous raté avec l'élément liquide. 

Le soir même, je sortais dans la ville sans béquilles. Timidement, j’ai commencé à m’en réjouir. Mais ce progrès était-il durable? Le doute s’est d’autant plus insinué dans mon esprit que j’ai passé ensuite une nuit épouvantable, percluse de douleurs. Avais-je forcé? Avouons aussi que cette pose de béquilles s’était faite sans préméditation. J’avais fermé la porte de mon appartement et réalisé, une fois dans la rue, que j’étais sortie sans béquilles. “Puisque je les ai oubliées, c’est que je n’en ai plus besoin”, en avais-je conclu.

... et recommencer


Le lendemain, après une nuit d'insomnie, j'étais loin d'avoir récupéré. Je me suis levée en mode "zombie" et j'ai remercié le café d'exister. Comme je suis ainsi faite, j’ai pris un pull-boy et je suis retournée à la piscine, direction le bassin nageur, cette fois. Huit cent mètres plus tard à une allure d’escargote, j’exultais. Nager m’avait fait un bien fou, il suffisait d’immobiliser le bas du corps pour que cessent les douleurs. Bien sûr, mon estomac n'avait plus l'habitude que le corps remue dans l'eau et il m'a fait comprendre à sa manière qu'il avait peu apprécié. Qu'importe! Une sensation de détente s'est emparée de moi comme il y avait longtemps plus.

Pour fêter cela, j’ai bu un café à une terrasse en regardant le soleil jouer à cache-cache avec les nuages. En guise de test, j'étais allée à la piscine sans béquilles... Et je suis revenue sans (en toute logique), réussissant même à faire des courses au passage sans plonger la tête la première dans les linéaires du supermarché. J’ai alors décidé de considérer Adélaïde et Cunégonde (mes deux cannes), comme en congé sabbatique durable. 

L’après-midi, je suis allée tester ma nouvelle condition de bipède. J’ai peu à peu retrouvé le plaisir rare de balancer les bras en cadence, de dérouler le pied (autant que faire se peut avec un plâtre)… c’était magnifique. Oh le bel et fragile équilibre d'un humain qui marche! J'ai même constaté que je pourrais jeter la paire de runnings que j'utilisais pour ce faire tant la semelle était usée sur l'extérieur du pied. Je suis rentrée fourbue, heureuse et en proie à d’intenses crampes gastro-intestinales car mon système digestif n’avait plus (non plus) été soumis à pareil massage depuis perpète. 

Bipède heureux, mais


J’inaugurais mon 2e mois de convalescence par deux succès d’importance: j’avais retrouvé ma condition de bipède et le plaisir de nager. Au lieu de jouir de cette joie sans mélange, j’ai ressenti un pincement au cœur en constatant que le festival de trail de Montreux battait son plein et que je n’y serais pas. C’est que… j’avais envie de courir. Cette tristesse s’est alors mêlée de joie: enfin, j’avais envie de courir! 

Durant ma marche sans béquilles, au plat mais sur une bonne distance, ma cadence en marche rapide au mieux de ma balade m’a fait constater que je serais probablement bientôt mûre pour un footing. J’avais deux semaines à attendre, selon le protocole, et je trépignais d’impatience. Oh courir, recommencer à courir et à me promener en montagne!

Ces sentiments, je les ai gardés pour moi, sachant qu’on me dirait: “mais ce n’est rien, deux semaines, ça va vite passer!” Je sais combien le temps est élastique et  à quel point les minutes parfois peuvent s’étirer. Devant moi, s’étendait un gouffre de deux semaines… avec certes quelques passerelles lancées à travers ce gouffre béant: un retour à la natation et du vélo. La montagne et la course attendraient.

Et puis surtout, ce jour-là, pour la première fois depuis l’opération, j’ai laissé ma montre de sport à mon poignet, comme j’avais l’habitude de le faire. En fin de journée, elle indiquait 20’663 pas. Je me suis senti, d’un coup, redevenir normale. Comme quoi, la normalité tient souvent à l'idée très personnelle qu'on s'en fait et parfois à un podomètre.

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