Les traileurs, ces drôles de bêtes

La presse spécialisée dans la montagne de mon pays (la Suisse), semble avoir découvert l'existence d'une nouvelle tribu: les traileurs. Bien sûr, celles et ceux qui crapahutent dans les montagnes savent que le trail n'est pas nouveau. L'engouement pour ce sport l'est peut-être davantage... Mais l'essentiel n'est pas là.

Comme beaucoup de gens qui aiment la montagne, je fais partie du Club alpin. Férue de randonnée, je pousse le vice jusqu'à être membre de Suisse Rando aussi (et ses célèbres panneaux jaunes). On peut me rencontrer en montagne, encombrée d'un lourd sac à dos, sanglée dans un harnais avec plein de quincaillerie qui fait "schgling schgling", encordée, chaussée de crampons, montant avec lenteur, prudence (et souvent difficulté) un névé gelé, en plantant le manche de mon piolet.

Vous pourrez croiser la même personne, un peu plus bas dans la montagne, avec toujours le même sac à dos, mais sans crampons ni piolets, et si vous regardez dans le sac, il y a fort à parier qu'il y ait une bouteille de rouge, des pâtés et tout ce qu'il faut pour un pique nique gastronomique sur un petit sommet aux alentours avec les joyeux compères et commères qui m'entourent. Et même qu'on ne part jamais sans nos sacs en tissus, de fois qu'on trouverait des champis.

Et c'est encore moi, sur les mêmes chemins, que vous verrez en shorts, t-shirt et "baskets", jogguant sur des monotraces ou parmi des pierriers bien connus d'elle, munie d'un tout petit sac à dos (dans lequel il y a au moins une veste, une poche à eau, un couteau suisse, une barre de céréales, une couverture de survie et une mini pharmacie). Et même qu'il y a aussi un sac en tissu, des fois que je trouverais des champis.

On peut être à la fois randonneuse, alpiniste et traileuse


ça alors! On peut donc être randonneuse, alpiniste à ses heures et même traileuse: les trois réunis dans la même personne! Quelle surprise! Pour moi, ce n'en est pas une. Mais visiblement, pour les milieux de la randonnée et de l'alpinisme, c'en est une.

La presse spécialisée a tôt fait de découvrir le mystère qui pousse les traileurs, ces curieuses bêtes, à courir en baskets dans les montagnes (bandes d'inconscients): le culte de la performance, de la vitesse, de la légèreté, maux de notre siècle! En plus ces irresponsables vont en montagne si peu équipés qu'ils commettent des imprudence et doivent appeler les secours (bandes d'inconscients, bis), voyez le sauvetage de Kilian Jornet et Emelie Forsberg en 2013 à l'Aiguille du Midi.

Voilà, c'est ce que racontent les journaux suisses qui parlent de montagne et de randonnée. Eh bien là, je ne vous suis plus. Prenons les imprudences: que deux skyrunners (tiens, un autre terme: vous m'écrirez un article là-dessus) qui passent le plus clair de leur vie en montagne aient dû appeler UNE fois les secours me paraît statistiquement fondé. Et je ne serais même pas étonnée qu'il y ait même une deuxième fois.

Pour ma part, la fois où j'ai appelé la colonne de secours pour moi, j'étais loin d'être en jupette et en baskets. C'était lors d'une sortie d'alpinisme.

La compète dans les cordées


Quant aux vêtements légers, aux bâtons légers et à tous ces accessoires légers, ils sont en train de séduire les randonneurs qui y ont goûté: pourquoi se charger comme une mule quand on peut randonner avec moins de poids et plus d'aisance? Eh oui, chers clubs de marcheurs, la légèreté est en train de conquérir vos troupes!

Parlons maintenant de la performance et de la vitesse (rires). Je ne suis pas une rapide. J'ai même cessé de faire de la montagne avec des gens que je ne connais pas (ou d'autres que je connais trop bien), parce qu'en baver pendant toute la montée avec mes grosses chaussures, mon gros sac à dos, sanglée dans mon baudrier et suant à grosses gouttes sous mon casque, avec le coeur qui bat la chamade dans mes tempes, les poumons au bord de l'asphyxie, les membres douloureux et la nausée par-dessus le marché... pour m'entendre dire au sommet par le chef de course qu'on a "niqué le topoguide" et fait du 600 mètres de vitesse ascensionnelle, ben c'est pas ma conception de la montagne! Allez hop on redescend. La compétition, je l'ai davantage vue à l’œuvre dans les cabanes et sur les pentes qu'à Sierre-Zinal.

Un air de liberté


Je ne suis pas une compétitrice. J'aime l'ambiance des trails et des courses de montagne pour l'énergie positive qu'qu'ils dégage. J'aime le trail pour l'esprit d'entraide et de camaraderie qu'on y trouve encore. J'aime aussi les ravitos perdus sous un sommet, un col ou dans des endroits pas possibles où des bénévoles (extraordinaires bénévoles!) vous accueillent comme si vous étiez une championne, avec une soupe chaude et du thé pour votre poche à eau (le tout alors qu'il fait un temps exécrable et qu'on se les gèle). J'aime ces paysages qui défilent et ce sentiment de plénitude en se disant qu'on part pour xyz bornes qui montent et qui descendent et qu'on va y passer la journée et une partie de la nuit. J'aime ce frisson de passer l'arche d'arrivée en me disant "je l'ai fait", et peu importe le temps que j'y ai mis ou mon rang dans le classement.

Comme des milliers de traileurs, je ne cherche pas la vitesse, la compétition ou la gloire. Je recherche ce sentiment d'extraordinaire liberté de courir dans les montagne (et parfois de chuter lourdement dans ladite montagne). Le trail est un art de vivre. Celles et ceux qui le pratiquent sont souvent des fous de montagne et de nature.

Ce matin, j'ai fait une petite rando-course. Vous appelleriez peut-être cela du trail. A un moment donné, je suis sortie de la forêt pour déboucher sur une pente herbeuse, et là, à couvert, j'ai surpris des chevreuils qui batifolaient. Vous savez quoi? Je me suis arrêtée longuement pour les regarder. Ils m'ont superbement ignorée. En redescendant, je les vus détaler. C'est alors que je les ai entendus: des randonneurs en groupe arrivaient en parlant très fort. Ils portaient les grosses chaussures de montagne en cuir et les chaussettes rouges.

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